Gaël Liardon

Titre de la Thèse: Les psaumes de Didier Poncet (1611). Etude d'un style polyphonique hors norme.

Date de début de la thèse: 2013

Directeur (trice): Philippe Vendrix

Résumé: 

Didier Poncet Salinois, maître de la musique du prince d'Orange, publie en 1611, chez Pierre Phalèse à Anvers, un recueil de douze psaumes polyphoniques. Cette œuvre a été étudiée et transcrite par Marc Desmet dans le cadre de sa thèse sur les paraphrases de Philippe Desportes, en 1994 . Mais elle n'a pas été enregistrée, et est restée méconnue même parmi les spécialistes de la tradition musicale à laquelle elle se rattache. Les seules informations connues sur le compositeur sont celles contenues dans la page de titre de ces psaumes et dans la préface qu'il signe lui-même :  L'adjectif « salinois » apposé au nom de Didier Poncet laisse entendre qu'il serait originaire de Salins dans l'actuel département du Jura, « laquelle entretenait des liens avec les anciens Pays-Bas à plus d'un titre » .  « Maistre de la Musique de Monseigneur le Prince d'Orange », c'est-à-dire Philippe-Guillaume (1554-1818).  Dans la préface, il indique qu'il est au service du Prince d'Orange depuis quatre ans, soit depuis 1607, et qu'il n'a rien publié durant cette période, avant ce recueil. La seule autre trace de ce compositeur connue à ce jour, est une mention dans la correspondance du jeune Constantin Huygens. En 1617, dans une lettre qu’il adresse à sa mère depuis Leyde, Huygens souhaite que son frère, alors à Breda, aille rencontrer Poncet, « Maître chantre du Prince d'Orange », pour lui demander les derniers airs de sa composition, étant assuré que cette requête ne lui serait pas refusée . Cette lettre nous permet de savoir qu'en 1617, Poncet, toujours vivant, se trouvait encore au service du même prince. L'œuvre. Les douze psaumes de ce recueil sont composés sur la célèbre paraphrase en vers français de Philippe Desportes (1546-1606). Chaque texte est mis en musique intégralement, et organisé en plusieurs parties. En comptant toutes les parties de chaque psaume, le recueil totalise ainsi cinquante-trois pièces, dont le nombre de voix varie de trois à sept. L'utilisation des paraphrases de Philippe Desportes place cette œuvre dans la tradition des psaumes français catholiques (par opposition aux psaumes huguenots composés sur les paraphrases de Clément Marot et Théodore de Bèze). Dans cette tradition, on trouve notamment Eustache Du Caurroy (1549-1609). Marc Desmet a en outre proposé l'hypothèse que le recueil de Poncet ait pu être influencé par un autre recueil de douze psaumes : le Dodécacorde de Claude Le Jeune (ca. 1530-1600), publié en 1598, et qui se place dans la tradition huguenote . Ce rapprochement, ainsi que le fait qu'Eustache Du Caurroy juxtapose des textes catholiques et des mélodies huguenotes, pourrait suggérer une collaboration entre les artistes des deux traditions dans la période apaisée qui succède à l'Edit de Nantes (1598). Les deux exemplaires connus de cette œuvre se trouvent à la Bibliothèque nationale de France, et à la Bibliothèque Royale de Belgique. Ces exemplaires sont tous deux incomplets, mais se complètent mutuellement. Originalité du style de Poncet. Le style musical de Didier Poncet présente une grande originalité. Cet aspect n'a pas été étudié dans la thèse de Marc Desmet, et ce sera donc plus particulièrement l'objet de mon étude. Cette originalité réside essentiellement dans un traitement peu orthodoxe des lignes mélodiques et du contrepoint. Au premier abord, on remarque notamment :  des intervalles prohibés dans la théorie de l'époque, comme la seconde augmentée dans une ligne mélodique, ou la tierce diminuée dans un contrepoint,  des accords inusités dans le contrepoint de la Renaissance, et qui deviendront courants dans le style baroque, comme l'accord de triton,  de nombreuses cadences évitées,  l'utilisation fréquente de la quarte comme une quasi-consonance. Ce dernier point (l'utilisation de la quarte) place cette musique dans une problématique précise, particulière à cette époque. En effet, au début du XVIIe siècle, certains théoriciens français militent pour une utilisation élargie de cet intervalle, notamment Marin Mersenne (1588-1648), dans son Harmonie universelle (1636). D'autres au contraire, comme Pierre Maillart (1550-1622), s'y opposent avec véhémence. La publication de Pierre Maillart (Les tons ou discours sur les modes, Tournai, 1610) est d'ailleurs très proche de celle de Poncet, tant du point de vue géographique que temporel. Ce contexte fait apparaître notre compositeur comme un moderniste. D'une manière générale, les procédés inhabituels de Poncet sont souvent liés à une recherche d'expression du texte (par exemple, la présence d'une tierce diminuée sur le mot « pestilence »). Cette intention est confirmée par ce qu'il écrit lui-même dans la préface : « iay mis en Musique douze Pseaumes de David selon la version de Monsieur des-Portes Abbé de Thyron (...) ie me suis toutes fois estudié de les relever & enrichir des plus beaux accordz que ma capacité m'a permis, m'accommodant de tout mon possible à la parole. » Tous ces éléments font apparaître cette musique comme une œuvre singulière. Elle se rattache à la polyphonie du XVIe siècle, mais présente par rapport à celle-ci de nombreuses innovations, parmi lesquelles certaines deviendront des procédés courants dans le style baroque. D'autres au contraire ne feront pas école, et semblent appartenir en propre à ce style singulier. Elle semble enfin se rattacher à un courant moderniste et expérimental, particulier au tournant du siècle, dans lequel il faudrait sans aucun doute placer Claude Le Jeune et peut-être, dans une perspective plus large, des compositeurs comme Carlo Gesualdo.

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