Jérémy Perret

Titre de la Thèse:  Le notaire, un acteur de la présence vénitienne dans la baie de Kvarner (XVIe-XVIIe siècles)

Date de début de la thèse: 2020

Directeur (trice): Florence Alazard

Discipline: Histoire

Résumé: 

Depuis les travaux de Roberto Cessi (La Repubblica di Venezia e il problema dell'Adriatico, 1953), on sait que l'histoire de Venise à l'époque moderne est aussi une histoire de l'Adriatique. Ces vingt dernières années, les historiens ont profondément renouvelé cette histoire de l'Adriatique vénitienne en proposant une histoire transnationale, appuyée sur l'analyse des syncrétismes culturels (Horden – Purcell, 2000 ; Miller, 2013 ; Horden – Kinoshita, 2014). Plus récemment, Egidio Ivetic (« L'Adriatico come spazio storico e transnazionale », 2015) a redéfini l'Adriatique comme une région associant littoral et entroterra, et formant un tissu complexe de petites localités indépendantes, tandis que l'historien autrichien Olivier Jens Schmitt a conceptualisé cet espace comme un Kommunikationsraum, une aire de communication au sein de laquelle les échanges de personnes, de biens et d'idées se feraient de manière plus dense avec les zones situées à l'extérieur. La baie de Kvarner, composée principalement de la ville portuaire de Rijeka et des îles de Cres et de Krk, propose une situation tout à fait singulière aux XVIe et XVIIe siècles. En effet, cette zone géographique se trouve exactement entre la Dalmatie et l'Istrie, deux régions étroitement liées à la République de Venise. Depuis le XVe siècle, les côtes istriennes sont à la quasi-totalité sous domination vénitienne, sauf la partie Nord-Ouest et l'intérieur des terres contrôlé par les Habsbourg. Quant à la Dalmatie, la Sérénissime s'y installe définitivement en 1403 et possède tout le littoral. La baie de Kvarner est le point de rencontre entre ces deux espaces, mais surtout, le lieu de tensions permanentes entre la République et les Habsbourg. Bien que les îles de Cres et de Krk soient vénitiennes, la ville de Rijeka est sous souveraineté Habsbourg depuis 1474. Il s'agit donc d'un lieu d'affrontement permanent pour le contrôle du territoire. Il faudra attendre la paix de Madrid en 1617, après la Guerre de Gradisca contre les Uscocchi, pour que la limite soit fixée durablement, attribuant ainsi Rijeka aux Habsbourg, et les îles de la baie à Venise. Ainsi, dès la fin du XVe siècle, une importante population vénitienne commence à s'installer durablement dans la région. Le flux migratoire, en provenance de Venise et de la Terre Ferme, s'intensifie et contribue à renforcer le lien entre les côtes de l'Adriatique « vénitienne ». Parmi eux se trouvent notamment de très nombreux notaires. Personnage central des sociétés d'Ancien Régime, particulièrement dans la péninsule italienne où la « révolution documentaire » (Clanchy, 1979) a fait naître de nouvelles pratiques de l'écrit, le notaire joue un rôle pivot dans la société vénitienne (Hilaire, 2008 ; Demo, 2012). Dans ce contexte, le Sénat vénitien lance une série de réformes sur le notariat. À Venise, encore au milieu du XVe siècle, il est possible d'exercer le métier de notaire aussi bien avec une investiture impériale (ou apostolique), que veneta auctoritate (délivrée par le doge). À partir de 1485, cette dernière devient obligatoire pour devenir notaire à Venise : la reconnaissance impériale et apostolique n'est plus suffisante. Au XVIe siècle, le Sénat finit par imposer la veneta auctoritate sur l'ensemble du territoire créant ainsi une concurrence aux investitures locales attribuées par les Collèges. Il en va de même pour la rédaction des actes : le more imperii, prépondérant depuis le XIVe siècle, est progressivement remplacé par le more veneto créé au XVIe siècle. Les Archives d'État de Rijeka révèlent une forte présence du notariat vénitien en particulier dans les fonds qui concernent l'île de Cres et à propos de tous les domaines, allant de la sphère politique à celle de la justice. Le fonds de la municipalité de Cres révèle également une situation tout à fait inattendue au XVIe siècle : l'île dépend du Saint Empire, mais est gérée par la République de Venise, comme le dévoile la série « actes du gouvernement vénitien au sujet de la municipalité impériale » (fonds « Cres-Općina », Archives de Rijeka). De plus, les Archives d'État de Venise conservent la documentation notariale en provenance de la ville de Fiume (nom italien pour Rijeka) pour les XVIe et XVIIe siècles. Le notaire s'impose comme un personnage central de la politique vénitienne dans la baie. De sa formation universitaire à Padoue, en passant par son investiture à Venise et jusqu'à son installation sur les terres croates, l'étude de cas du notaire « vénitien » (vie en société, vie matérielle, caractéristiques et pratiques culturelles, réseaux personnels et professionnels, etc.) permettra de jeter un regard nouveau sur ce personnage et sur la population de cette région. La thèse s'appuiera sur une ample documentation d'archives en très grande majorité écrite en italien : registres de délibération du conseil municipal, registre de judicature, archives notariales. Elle portera sur une période allant du XVIe au XVIIe siècle afin de pouvoir apprécier les évolutions. Enfin, elle s'inscrira dans des problématiques historiographiques actuelles comme l'opposition Venise / Habsbourg aux XVIe et XVIIe siècles en Mer Adriatique, ou encore les développements des écritures grises, et elle contribuera au débat sur les relations entre Venise et l'Adriatique (« Golfo di Venezia », syncrétisme culturel, histoire transnationale, etc.).